UNE NÉBULEUSE DE REFLETS

Le miroir se souvient des visages qui se sont posés sur lui comme des papillons, puis le vent les efface et parfois, le spectre d’un fantôme penché sur une épaule regarde les innombrables forêts d’égos qui s’y étaient attardés. Empire de la mémoire qui ne rend jamais la jeunesse d’antan, ce petit morceau de verre à l’argent en son envers va devenir plus précieux qu’une toile de maître. Pour cela, la chose devait être nécessairement de qualité et l’ouvrage par sa taille devait dépasser l’entendement, c’était la promesse de grandeur que fit Colbert au roi Louis XIV. Les maîtres artisans, lors de leur arrivée à Paris de Murano en 1665, lui avaient affirmé qu’ils pourraient bientôt produire des miroirs de six à sept pieds de haut.

Pour quiconque connaissait l’histoire du miroir et de son artisanat, cela paraissait impossible car le miroir des Vénitiens était soufflé et ensuite, recouvert à la feuille d’argent, et donc, en 1666, on créa les Manufactures Royales de Champagne qui devaient s’illustrer quelque années plus tard par la splendeur et l’accomplissement de cette promesse, prouvant ainsi au roi que les Français avaient parfaitement réussi à prendre le contrôle de cette industrie que seuls les italiens possédaient jusqu’alors.

Les grands miroirs de la galerie des glaces auraient dû être composés tout au plus de quatre panneaux individuels. Cependant, la réalité dévoilée en 1682 était bien loin du rêve de Colbert : chacun d’eux comportait 17 immenses glaces qui, elles-mêmes étaient composées non pas de quatre panneaux mais de vingt plus une plaque au sommet de trois petites plaques arrondies, et trois petits rectangles à la rangée suivante et 15 de plus en dessous dont chacun mesurait 90 cm sur 60 cm, soit au total 357 panneaux pour cette galerie qui devint la galerie des glaces la plus extraordinaire du monde.

La découverte de Bernard Perrot, qui  consistait à verser du verre en fusion de la même manière que l’on forge les métaux, est une révolution. Enfin, les Français pouvaient à juste titre se vanter de cette innovation qui allait changer les décorations intérieures des immeubles cossus de la capitale. Une histoire de France qui donne à mes yeux heureux de voir longtemps cette volupté sereine de voir la beauté se dressant comme une reine sous sa couronne d’or, les métiers d’art dans toute leur splendeur, bref la France dans tous ses états.

Anonymode

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